Jody Horcholle

Dans de très nombreux domaines notre société évolue plus vite que notre droit positif. Les lois, mêmes prises avec le plus grand sérieux et débattues, ne peuvent prendre en compte toutes les situations spécifiques. Parfois, la réalité dépasse même ce que la loi a pu prévoir. C’est alors que le juge intervient pour interpréter une règle de droit. Cela s’appelle la jurisprudence.

Les problèmes de la liberté d’expression et de droits d’auteurs, avec la généralisation d’Internet et des nouvelles technologies peuvent en témoigner.

La science progresse à grands pas et le législateur intervient pour encadrer certaines pratiques. Il s’agit notamment des lois bioéthiques. L’objectif consiste à adapter la législation à l’évolution de la science, du droit et de la société. Les deux premières datent de 1994 et 2004.

Il convient également de rappeler que nous ne vivons pas dans un monde clos. Ainsi, une pratique peut-être interdite en France et autorisée à l’étranger.

Aujourd’hui se pose la question de l’évolution de la législation concernant la PMA (Procréation médicalement assistée), également appelée (assistante médicale à la procréation AMP) par le milieu médical. Elle est autorisée pour les couples hétérosexuels.

Le projet de loi bioéthique, examiné au Parlement début 2019, devrait ouvrir la procréation médicalement assistée aux femmes célibataires et aux couples lesbiens. Le gouvernement rappelle son opposition à la gestation pour autrui.

Ce sujet va probablement susciter de nombreux débats.

Parmi les techniques de PMA, la gestion pour autrui (ou GPA) avec une mère porteuse est en l’état interdite en France.

En France, la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain interdit explicitement la gestation pour autrui. Elle a introduit dans le code civil l’article 16-7, selon lequel « toute convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». D’ailleurs, cette loi a confirmé la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation. L’article 227-12 du code pénal sanctionne cette pratique.

Afin de contourner cette règle, certaines couples se rendent à l’étranger, dans certains pays, où cette pratique est légale. Cependant, à leur retour, la transcription sur les registres français de l’état civil des actes de naissances rédigés à l’étranger pour faire reconnaître la filiation des enfants nés de la gestion pour autrui pouvait être une source de difficulté.

Un couple français ayant eu recours en 2000, conformément au droit de l’État de Californie, aux services d’une mère porteuse, a connu cette difficulté. Le procureur de la république a décidé d’assigner les époux Mennesson en demandant l’annulation de la transcription devant le tribunal de grande instance de Créteil.

Le Procureur de la République a obtenu gain de cause dans cette affaire. La cour d’appel de Paris, dans son arrêt rendu le 18 mars 2010 a déclaré l’action du ministère public recevable, au motif que le ministère public avait agi pour la défense de l’ordre public La cour a déclaré l’annulation de la transcription sur les registres du service central d’État civil de Nantes, des actes de naissance établis en Californie.

Dans le pourvoi N° 10-19053, les époux Menesson, parents Français de jumelles nées en 2000 par mère porteuse aux Etats-Unis, sont déboutés « en l’état du droit positif, il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public »

La Cour étendait cette impossibilité d’effets, en France, d’une possession d’état invoquée pour l’établissement de la filiation, dès lors qu’elle est la conséquence d’une telle convention quand bien même elle serait licite et reconnue dans le pays étranger.

La haute juridiction jugeait, en outre, que le refus de transcription de l’acte de naissance ne privait pas ces enfants de la filiation paternelle et maternelle que leur reconnaît le droit étranger et ne portait pas non plus atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale dans la mesure où ce refus ne les empêcherait pas de vivre avec les parents.

Le 23 janvier 2013, une circulaire est adressée par la garde des Sceaux, Madame Taubira, aux tribunaux pour leur demander de ne plus refuser la délivrance des certificats de nationalité française (CNF) pour des enfants nés à l’étranger, au seul motif qu’ils concernent des enfants issus d’une gestation pour autrui

Toutefois, l’affaire n’en est pas restée là.

La France a été condamnée par la CEDH, le 26 juin 2014, pour violation de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, dans deux affaires de refus de retranscription d’actes d’état civil pour des enfants nés par gestation pour autrui (CEDH, 5e sec., 26 juin 2014, Labassee c. France, req. n° 65941/11 et Menesson c. France, req. n° 65192/11)

Par ses deux décisions, la Cour rappelle sans surprise la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant sur l’intérêt général : la France a le droit, du fait de la marge de manœuvre laissée aux États, d’interdire la GPA sur son territoire, mais elle ne peut pas porter atteinte à « l’identité » des enfants nés de mères porteuses à l’étranger en refusant de les reconnaître.

En assemblée plénière le 3 juillet 2015, la Cour de Cassation a opéré à un revirement de jurisprudence. Jusque-là inflexible la Haute Cour. Les actes de naissance dont la transcription est demandée mentionnent comme père celui qui a effectué une reconnaissance de paternité et comme mère la femme ayant accouché. Dès lors, les règles de transcription sur les actes de l’état civil français, interprétées à la lumière de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, doivent s’appliquer au cas d’espèce. La théorie de la fraude ne peut donc faire échec à la transcription de l’acte de naissance.

La CEDH a de nouveau condamné la France le 21 juillet 2016 (Affaire Foulon et Bouvet c/ France) pour avoir refusé en 2013 de transcrire les actes de naissance d’enfants nés par gestation pour autrui en Inde.

La Cour de Cassation dans plusieurs arrêts du 5 juillet 2017 confirme l’évolution jurisprudentielle de ces dernières années. En effet la Haute Juridiction a ainsi statué :

– L’acte de naissance étranger d’un enfant né d’une GPA peut être transcrit partiellement à l’état civil français, en ce qu’il désigne le père, mais pas en ce qu’il désigne la mère d’intention.

– Une GPA réalisée à l’étranger ne fait pas obstacle, à elle seule, à l’adoption de l’enfant par l’époux du père.

Il ressort de cette jurisprudence que l’adoption simple de l’enfant né à la suite d’une gestation pour autrui, par le conjoint du parent biologique, est désormais possible. L’adoption plénière demeure, en revanche, incertaine

In fine, ne devrions-nous pas rechercher en priorité l’intérêt de l’enfant ?

Il faut noter une chose. Les textes internationaux donnent une considération primordiale à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Avant de légiférer il faut se poser les bonnes questions. Il convient d’observer ce qui se passe dans l’Europe, dans le monde. Sur un tel sujet le législateur doit tenir compte des règles de droit en vigueur à l’étranger. Il semble primordial de tenir compte des futurs progrès de la science pour ne pas devoir, demain, légiférer en urgence et sous la pression de l’opinion populaire.

Il faut également avoir à l’esprit qu’une interdiction prise au niveau national aura peu d’effet. Les plus fortunés pourront y échapper en se rendant à l’étranger. Cela est valable dans de nombreux domaines. Une raison de plus pour une meilleure harmonisation de nos législations au niveau européen. Enfin, le plus important en cas de l’inobservation d’une règle ce n’est pas de punir celui qui la transgresse, mais surtout de protéger les enfants qui ne doivent pas en subir les conséquences.

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